Interview : Xavier Pommereau, psychiatre
Le Dr Xavier Pommereau est psychiatre, responsable du Pôle Aquitain de l’Adolescent au Centre Abadie (CHU de Bordeaux). Il est notamment l’auteur de L’Adolescent suicidaire (Dunod) et de Ado à fleur de peau (Albin Michel).
1- Comment un ado peut être amené à avoir envie de mourir ?
Quand on dit le mot de suicide, on a le sentiment que tout le monde sait de quoi on parle. Le jeune croit savoir de quoi il souffre et croit comprendre ce qui lui arrive. En fait, ce n’est pas le cas. Il peut lui être arrivé des événements négatifs comme une rupture amoureuse, un échec scolaire, un deuil… Il a l’impression qu’il veut mourir à cause de ça, ce n’est pas le cas. Ce ne sont que les facteurs déclenchant, l’origine est ailleurs et il n’en a pas conscience.
2- De quoi n’a-t-il pas conscience ?
En fait, ces facteurs, ces événements négatifs vont venir précipiter les choses parce qu’il y avait déjà avant un “terrain” de fragilité, une faille. C’est de ça dont il n’a pas conscience.
3- Qu’est-ce que c’est que ce “terrain de fragilité” ?
Le dénominateur commun à tous les jeunes concernés est un sentiment de “non-exister”, c’est à dire ne pas avoir une identité assurée, reconnue, valable. C’est ce sentiment diffus qui constitue le mal-être.
4- Quelles peuvent être les raisons de cette fragilité ?
Les raisons peuvent être nombreuses : la dépression (mais tous les adolescents suicidaires ne sont pas dépressifs), des troubles de la personnalité, des violences sexuelles subies, des secrets de filiation, une orientation sexuelle différente… Mais le jeune n’a pas conscience du fait que son mal-être est lié à ces raisons-là.
5- Quels sont les signes qui montrent qu’un jeune va mal ?
Avant que l’idée de suicide ne prenne corps, il y a des conduites de rupture qui vont apporter un apaisement sur le moment. Par exemple la fugue, l’ivresse à l’alcool et au cannabis, les clashs familiaux, les ruptures cutanées en se coupant… En voulant rompre pour faire cesser la souffrance, les jeunes concernés montrent qu’ils vont mal.
6- Comment un jeune peut en arriver à penser à la mort comme solution ?
Il arrive que cette logique qu’il a mise en place de faire cesser la souffrance ne marche pas, c’est juste un apaisement sur le coup. Peu à peu, il va penser à l’acte suicidaire. A cela s’ajoute la volonté d’interpeller violemment l’autre par ce geste, c’est comme une revendication d’existence, un appel. Il est dans l’attente d’une reconnaissance « qui répare ».
7- Pourquoi souvent il refuse d’être aidé en en parlant ?
Il y a un enfermement dans les idées noires. Le jeune devient extrêmement sensible. Quand on est adolescent, la parole est encore le terrain des adultes, elle vient d’eux et c’est eux qui ont appris au petit enfant ses premiers mots. Parler peut donc faire peur : on ne veut pas risquer d’être jugé, de dévoiler son intimité, d’être étiqueté par l’adulte. On peut avoir l’idée que parler, c’est devoir rendre des comptes. Le téléphone et internet permettent de mettre comme un filtre entre le jeune et l’adulte, un filtre qui protège de ça, qui permet de ne pas s’exposer tout nu.
8- Comment aider un jeune qui a des idées suicidaires ?
On peut l’amener à rebrousser chemin. Il faut l’aider et l’accompagner pour remonter le chemin plus loin que le moment du facteur déclenchant, pour faire un lien entre ce qui lui arrive et sa fragilité d’avant. Ça donne du sens.
9- Qu’aimeriez-vous dire à nos lecteurs ?
Que les carottes ne sont jamais cuites ! Des adolescents suicidaires que j’ai connus sont devenus de vrais combattants de la vie. Ils ont pu donner un sens à leur souffrance et ils en ont fait un carburant, un ressort pour mener à bien leurs projets. On peut se sortir de la spirale suicidaire à condition qu’on ne reste pas seul dans son coin et qu’on accepte de l’aide.